26 octobre 2008

Chapitre 3 - Part1

Dans les jours qui suivirent, Solann et ses compagnons survivants chevauchèrent en silence. Il semblait que même la nature avait revêtu ses vêtements de deuil. Le soleil était occulté par d’épais nuages d’où tombait sans discontinuer une pluie fine, glaciale, qui ternissait les ors et les rouges de l’automne, comme un dernier hommage à Ariene.
Menant le petit groupe avec autorité et précision, la guerrière s’acquittait au mieux de la dernière mission que lui avait confiée le général des Tordrïn, essayant d’ignorer la douleur qui lui déchirait le cœur. Cependant, malgré tous ses efforts, les quelques heures qui avaient suivi la bataille occupaient constamment son esprit.
Elle avait l’impression d’encore sentir au coin de ses lèvres le goût salé de ses larmes. La pluie avait commencé à ce moment-là, et avait fini par la tremper totalement sans qu’elle en ait cure.
Des quatre lanciers survivants, deux n’avaient pas passés la nuit, trop grièvement blessés. Ils avaient rejoints le reste de leurs compagnons sous un grand tumulus élevé à la hâte.
Une bien piètre sépulture pour d’aussi nobles combattants, avait songé Solann une fois le travail terminé, mais elle avait préféré garder cette réflexion pour elle. Après tout, leurs dépouilles mortelles n’étaient plus exposées aux yeux de tous, à la différence des cadavres des soldats de Lokmar, entassées à l’écart. Orion avait proposé de les brûler, mais elle s’y était fermement opposer, préférant les exposer là "à titre d’exemple".
Mais, plus que tout, une pensée martelait continûment l’esprit de la guerrière : à cause du Royaume de Lokmar, le général Ariene, de la lignée d’Ohes, le plus noble des seigneurs de l’empire, était mort ; son corps disloqué reposait maintenant sous un tertre de pierre qui séparait en deux les flots verdoyants d’une rivière d’herbe.
Elle sentie à nouveaux des larmes lui monter aux yeux. Heureusement la pluie, tombant sans discontinuer depuis la bataille, fouettait son visage tandis qu’elle chevauchait, et lui permettait de masquer ces maudits pleurs, preuves de sa faiblesse.

***

Au soir du troisième jour, la guerrière reprit conscience de ce qui l’entourait.
Depuis un moment déjà la route s’était mise à grimper entre de hautes futaies que l’automne avait commencé à dépouiller. Autour d’eux, la bruine semblait tout imprégner. L’eau ruisselait sur les feuilles et sur les branches, courait au long du chemin en chuchotant. Elle s’insinuait dans leurs vêtements, glissant entre leurs omoplates, mouillant leur dos jusqu’à la selle. Même la cape de Solann, pourtant tissée par les prêtresses de An’Cardon, déesse des voyageurs, semblait impuissante à la protéger. Les chevaux baissaient l’encolure, arrachant avec peine leurs sabots à la boue glissante, et leurs cavaliers n’avaient pas l’air en meilleur état. Les traits tirés, ils courbaient les épaules avec une lassitude épuisée. Solann tira sur les rênes et s’arrêta.
- Il est temps de faire une pause, lança-t-elle à ses compagnons. Si nous continuons ne serait-ce qu’une heure encore, je vais me réduire à un fantôme, avec toute cette eau. Et le soir descend. Trouvons un abri dans ces bois !
Ils s’écartèrent de la route, et menèrent leurs montures par la bride entre les hauts troncs, sur le tapis rouge et or des feuilles tombées. Ils firent halte sous un orme dont le feuillage, quoique jaunissant, était encore épais, et au pied duquel la mousse ne semblait pas complètement détrempée. Ayant pansé leurs chevaux, ils s’occupèrent de trouver l’endroit le moins humide, sous les puissantes branches de l’arbre, pour installer leur campement.

22 octobre 2008

Chapitre 2 - Part2

Le vieillard avait croisé ses mains sous sa barbe, et sa tête penchée dans une attitude pleine de révérence révélait une couronne de cheveux gris autour de son crâne lisse. Le silence s’installa. Puis le roi reprit :
- La meilleure unité de cavalerie du Farlinden est anéantie. Et il n’y avait plus, dans tout l’empire, que deux sorciers capables de pratiquer le Grand Art au plus haut niveau. J’en ai tué un. Il ne reste que l’Impératrice, et ce n’est qu’une femme. Tout cela valait bien quelques pertes !
Il sembla réfléchir un instant, tandis qu’un demi-sourire jouait sur ses lèvres.
- En somme, je voulais piéger un renard, et j’ai attrapé un lion !
L’esclave s’était peu à peu rapproché des marches du trône. Il s’agenouilla sur la dernière, pliant ses courtes jambes avec difficulté, et, les yeux baissés, interrogea humblement :
- Mais, Sire, si je puis me permettre, la fille… qu’en est-il advenu ?
D’un geste, le roi balaya la question importune.
- J’ai eu confirmation de ce que je voulais savoir. Si cette damnée Solann avait due mourir aujourd’hui, ce serait chose faite, tu peux en être certain. Mais il n’est pas si simple d’échapper à son Destin. Car, ainsi qu’il est écrit dans le grand livre d’Oht, le Destin est bel et bien en marche, et la ruine de l’Empire ne saurait plus tarder très longtemps.
Alors le Roi se leva, et faisant signe au nain de le suivre, il se dirigea vers la porte dont il claqua violemment le battant contre le mur.

La pièce dans laquelle ils entrèrent témoignait d’une sévérité militaire. Une grande table de bois en occupait le centre. Sur les murs, au-dessus de casiers garnis de cartes et de parchemins, des panoplies d’armes venues de tout le monde connu s’étalaient. La pièce s’ouvrait sur une sorte de balcon, percé au plus haut du donjon de la forteresse qui couronnait Samara, la capitale du Royaume de Lokmar. De là, on dominait à l’est la plaine jusqu’au Nuern, le grand fleuve, et au-delà jusqu’aux collines qui la cernaient. Et au nord, face au donjon, on pouvait voir la côte, et toute l’étendue de la mer. A cet instant, le soleil s’y couchait, comme un œil rougeoyant que la ligne de l’horizon tranchait, et qui dessinait un sillage sanglant sur les flots de plomb.
Plus près, en contrebas de la forteresse, s’étendait la ville ancienne, autour du port. C’est à partir de là que s’étaient construites, au cours de siècles nombreux, la richesse et la force du royaume. Aujourd’hui la ville s’étendait presque jusqu’aux berges du Nuern.
Shark’Rohr s’était avancé sur le balcon et laissait errer son regard sur la capitale de son royaume, et sur la plaine qui l’entourait. Peu à peu, avec l’avancée du crépuscule, des lumières s’allumaient, clignotantes. Dans les bassins du port, ombres sur ombre, on apercevait les formes élancées des navires, dont les gréements oscillaient au gré de la houle. Mais sur la plaine ! Des centaines de feux y brillaient, éclairant de leur lueur des centaines de tentes alignées. Son armée était prête.
La partie d’échecs avec l’Impératrice du Farlinden pouvait commencer.
Le regard du roi se porta alors sur la cour intérieure du château, au pied du donjon, juste en dessous du balcon où il se trouvait. Les hommes y étaient si serrés qu’on n’aurait pu discerner la moindre parcelle du sol sec et poussiéreux. Tous portaient l’armure rouge sombre, celle de l’armée de Lokmar, et leur main gauche tenait une torche dont la lumière faisait reculer la nuit.
Les soldats avaient vu leur seigneur apparaître. Tous se turent. Ils portèrent leur poing droit à leur cœur, puis, mettant un genou en terre, la tête baissée, ils murmurèrent d’une même voix sourde, qui résonna jusqu’aux confins de la nuit : « Ta Parole est notre Loi, Prince »
Et ce fut le silence, troublé seulement par le crépitement des torches.
Alors le Roi parla :
- Fidèles guerriers, partez, allez rejoindre vos compagnons, et dites leur ceci : aujourd’hui l’armée de Lokmar se lève, et demain, elle marchera sur tous les territoires connus, et ses ennemis fuiront devant elle, car le Destin promis par le Grand Livre d’Oht au Royaume de Lokmar est à ses portes, et la clef de ce Destin, c’est Nous »

A ces mots, tous se redressèrent, et agitant leurs flambeaux, ils acclamèrent leur roi. Dans tous leurs cris, ceux qui revenaient le plus souvent étaient « Vive Lokmar » et « A mort le Farlinden »

Le Roi sourit. Bientôt, depuis une autre Salle du Trône, il gouvernerait le monde.

18 octobre 2008

Chapitre 2 - Part1

Si la salle avait eu une âme, sans doute se serait-elle étonnée du silence morne qui régnait à cet instant sous ses hautes arcades.
Il y avait déjà bien longtemps, elle s’était vue drapée de tapisseries d’or qui miroitaient dans la douce lumière des candélabres, lors de bals où se pressaient comme des fleurs les grandes dames et les puissants seigneurs.
Puis la magnificence qui la parait avait disparu, laissant la place à l’austérité des murs nus aux pierres glaciales. Elle s’était alors senti vibrer aux chants brutaux de guerriers, dressés dans la lueur rougeoyante des torches avant de partir au combat.
Mais en ce jour, tout cela avait disparu. Dans le soir descendant, la salle paraissait déserte.
Et pourtant, elle ne l’était pas.
Au centre de la pièce, sur un trône imposant et froid, sculpté dans la même pierre sombre que les murs, un homme était assis. Son visage, à moitié caché par le capuchon de son manteau noir brodé de runes d’ombre, était terriblement concentré. Ses yeux grands ouverts paraissaient regarder au loin, au-delà des murs de la salle, au-delà des montagnes et des mers.
Il restait là, figé, et seul le léger va-et-vient de sa poitrine indiquait qu’il était encore parmi les vivants.
Tout à coup, son visage se crispa et ses yeux se fermèrent. Cela ne dura qu’un bref instant. Il glissa de son siège et s’abattit sur le sol, pantin désarticulé. Le bruit de sa chute résonna dans la salle, brisant le calme sourd.
Alors un terrible éclat de rire explosa. Il sortait de la gorge de l’homme qui se relevait péniblement.
Comme en réponse, une porte dissimulée dans un recoin s’ouvrit. Une silhouette déformée par l’âge se dessina dans l’embrasure. De petite taille, elle paraissait encore écrasée par une barbe si importante qu’elle en devenait invraisemblable.
- Prince, dit-il, et sa voix paraissait curieusement grave et puissante chez un être aussi frêle, Prince, pourrais-je vous demander ce qui motive une pareille hilarité ?
Le rire s’apaisa peu à peu. L’homme en noir se redressa et rejoignit le trône où il s’assit avec majesté. Soudainement, il semblait être devenu un autre. L’être épuisé étalé sur le sol avait disparu. A sa place se trouvait un des grands de ce monde, de ceux qui décident de la vie et de la mort, et bien plus souvent de la mort, d’hommes de toutes façons prêts à mourir pour eux. Son maintien, son port altier, tout en lui dégageait de la puissance. Le vieux serviteur eut un mouvement de recul. S’il en avait jamais douté, il ne le pouvait plus : il avait bien devant lui Shark’Rohr, Roi de Lokmar.
- Bien sûr, Mati, mon vieil ami, dit alors le Roi. Sache que le plus grand des seigneurs de l’empire, leur meilleur général, le dernier sorcier-combattant, Ariene d’Ohes, est passé de vie à trépas…
Et la voix de Shark’Rohr, froide, implacable, résonnait souveraine dans la grande salle vide.
- Quoi !! S’exclama le vieillard. En êtes-vous certain, Sire ?
Mais devant l’expression du visage de son seigneur, il recula d’un pas et s’inclina :
- Pardonnez-moi, je vous ai interrompu.
- Attention, esclave ! Ce n’est pas parce que tu as accompagné mon enfance que tu peux te permettre de douter de mes paroles.
Une menace courait dans sa voix. Il poursuivit cependant :
- J’étais là. Je n’ai quitté l’esprit du garde de Roar dans lequel je me trouvais que quelques instants avant qu’il meure.

13 octobre 2008

Chapitre 1 - The end

Au fond du vallon, la vingtaine de guerriers de Lokmar survivants terminaient de réorganiser leur ligne, se préparant à lancer l’assaut qui, sans aucun doute, serait le dernier.
Ariene sembla hésiter un bref instant, mais se reprit aussi vite, si bien que Solann se demanda si elle n’avait pas rêvé.
- Nous leurrer plus longtemps serait stupide, reprit-il d’une voix parfaitement maîtrisée. Il n’y a, à cet instant, d’autre salut que dans la fuite. Je vous confie ce qui reste de mon unité, ma Dame. Dirigez la retraite, pendant que je retiendrai là nos adversaires. Il faut absolument que quelqu’un rapporte cette escarmouche à l’impératrice.
Elle voulut protester, mais comprit que cela ne servirait à rien. Ariene était de ces seigneurs prêts à donner leur vie non seulement pour sauver celle de leurs hommes, mais aussi pour protéger l’empire, ce qui était peu fréquent en ces jours sombres. Aussi, par respect pour lui, elle choisit de se taire. Croisant une dernière fois les yeux voilés de larmes du chevalier, elle y lut une tristesse étrangement teintée de bonheur.
Elle porta son cor à ses lèvres, sonna la retraite puis, la gorge serrée, partit au galop, suivie d’Orion. Ariene resta seul face aux cavaliers à l’armure rouge.
Alors qu’elle s’éloignait, il la héla une dernière fois :
- Fuyez Madame ! Allez prévenir l’empire que la nation de Lokmar s’est réveillée !
Puis elle crut entendre un chant s’élever vers les nues. Surprise, elle se retourna. Le chef des Lanciers Dragons était toujours là, unique rempart entre sa petite troupe et les derniers gardes de Roar. C’était lui qui chantait une mélopée lancinante, tandis que son épée traçait un chemin de mort au milieu des ennemis qui l’assaillaient maintenant. Au dessus de la mêlée, le ciel, jusqu’alors d’un bleu uni, se voila subitement d’inquiétants nuages noirs.
Tout se passa alors en un instant, instant qui resterait à jamais gravé dans l’âme de Solann : le général poussa un grand cri, note ultime de son chant, tout en pointant sa lame vers les cieux. Un éclair en jaillit, suivit d’une formidable explosion qui masqua le fond du vallon. Quand la fumée provoquée par la déflagration se dissipa, les survivants abasourdis ne virent plus qu’un profond cratère au centre duquel se trouvait un corps étendu, immobile, vêtu d’une armure blanche, serrant une lame brisée.
Dans son dos, Solann entendit un des Lanciers Dragons restants fondre en larmes et, sans pouvoir s’en empêcher, elle fit de même. Pour elle, le paysage n’avait plus rien de magique.

9 octobre 2008

Chapitre 1 - Part4

A quelques pas de Solann, un grand étalon blanc paissait paisiblement, aussi indifférent au cadavre de son ancien maître, encore avachi sur sa selle, qu’au tumulte alentour. Elle se rua vers lui, ne prenant que le temps de lancer à Orion un « Suis-moi ! » impératif. Mais celui-ci l’avait devancée, et se dirigeait déjà vers un autre cheval. Elle songea un instant à lui rappeler que ce n’était pas à lui, l’esclave, à prendre de telles décisions, mais se ravisa immédiatement. Elle avait pour l’heure des problèmes bien plus important à gérer, et elle ne pouvait non plus nier que c’était en prenant ce genre d’initiatives qu’Orion les avait à plusieurs reprises tiré de situations pour le moins périlleuses.
« Tout de même, nota-t-elle en enfourchant sa monture, si nous nous en sortons, il faudra que nous ayons une petite discussion sur les droits et devoirs d’un esclave de l’empire »
A cet instant, il ne restait que peu de lanciers, une dizaine tout au plus, à tenir encore sur leur monture. Totalement encerclés. Tel un héron blanc pris au piège d’une mare de sang, la troupe des Lanciers Dragons était en train de se faire avaler par la Garde de Roar. La bataille était jouée.
Pourtant, toujours épaulée par Orion, Solann lança en avant l’étalon blanc. Il fallait tenter une percée pour permettre aux survivants de s’extraire des mâchoires qui se refermaient sur eux. La fuite, constata-t-elle avec tristesse, était une fois de plus la seule issue possible.
Laissant à son esclave quelques mètres d’avance, elle attendit qu’il arrive au contact de leurs ennemis, puis elle saisit son cor de guerre qu’elle fit mugir de toute la force de ses poumons. A ce son, les cavaliers de Lokmar, arrachés à la fureur de la victoire imminente, hésitèrent quelques secondes. Certains tentèrent même de faire faire volte-face à leurs chevaux, convaincus qu’une nouvelle troupe les prenait à revers.
Ariene profita de ce bref instant de flottement pour arracher ses compagnons à l’étreinte qui les étouffait : au prix d’énormes pertes, ils se taillèrent un chemin sanglant à travers leurs ennemis jusqu’à Solann, avec laquelle ils rejoignirent le sommet de la colline. De la cinquantaine de Lanciers Dragons initiaux, il n’en restait que quatre, tous en piteux état. Armures cabossées, chair à vif, seul le teint cireux de leurs visages semblait maintenant rappeler la blancheur immaculée de leur uniforme. Et leur général ne présentait pas beaucoup mieux : ses atours, autrefois ivoire, étaient à présent de la teinte rougeâtre, écoeurante, du sang, tout comme son visage, sur lequel on devinait les fins sillons pâles qu’avaient tracés des larmes. Solann aurait pu s’amuser de découvrir que la légende des pleurs du Seigneur d’Ohes semblait fondée, mais elle était trop épuisée pour s’étonner de quoi que ce soit.
Après s’être brièvement assuré de l’état de santé de ses hommes, Ariene se tourna vers celle qu’il était venu sauver,
- Ma Dame, commença-t-il avec calme, je suis honoré de combattre à vos côtés en ce jour funeste.
Si elle tenta de ne faire rien paraître, Solann fut néanmoins étonnée par le ton d’Ariene. Un ton tranquille, voire serein, qui était parfait autour d’un bon repas ou au cours d’un banquet, mais qui paraissait totalement incongru dans la situation présente. Aussi lui fallut-il quelques secondes pour répondre. Elle se força à garder le même registre, respectant à la lettre les règles de la bienséance en usage à cette cour de l’empire qu’elle abhorrait tant :
- Tout l’honneur est pour moi, ainsi que pour ma Maison, seigneur Ariene d’Ohes.
- Sachez, ma Dame, poursuivit-il, toujours aussi sereinement, que tout ce que l’on raconte sur votre compétence dans le maniement de l’épée est bien en dessous de la réalité. Il ne me semble pas avoir jamais vu une telle maîtrise du grand Art, même parmi les plus fins bretteurs de notre empire.
Il marqua une pause, puis dit d’un ton bien différent, celui du commandant qui parle à son second :
- Vous avez certainement déjà compris que cette bataille ne pouvait être remportée.

6 octobre 2008

Chapitre 1 - Part3

Puis les premières silhouettes commencèrent à apparaître et, bientôt, la troupe toute entière des Lanciers Dragons, les Tordrïn, se découpa sur le ciel, leurs armures d’argent étincelantes au soleil matinal. Groupés en ordre d’attaque, immobiles comme des statues, les soldats d’élites attendaient.

Alors s’avança devant eux un cavalier, plus éblouissant encore que les autres, que Solann reconnut immédiatement. C’était le général Ariene, de la lignée d’Ohes, l’un des plus puissants seigneurs de l’empire, et aussi le dernier représentant des sorciers combattants. Si de nombreuses histoires courraient à son propos, la guerrière avait une affection particulière pour la légende selon laquelle il n’allait au combat que si aucun autre choix n’était possible, versant une larme pour chaque adversaire tombé sous son épée. Si elle avait toujours trouvé la seconde partie de cette histoire quelque peu mélodramatique, elle avait choisi d’y croire, simplement car l’idée la séduisait.

Larmes ou pas, le bras d’Arien ne trembla pas lorsqu’il le pointa vers le ciel, annonçant le début de la charge, ni quand il s’élança à son tour, accompagné de la vague de lumière mortelle que formait sa troupe.
Autour de Solann et d’Orion, un murmure apeuré enfla tandis que les Naldohls voyaient les cavaliers de l’empire fondre sur eux. La débandade fut totale. Seules restèrent quelques créatures, moins effrayées par la charge des lanciers que par le sort que réservaient les bourreaux de Lokmar aux déserteurs.

Mais la guerrière sentit un profond désespoir étreindre son cœur comme elle découvrait combien peu de combattants le Farlinden avait dépêchés pour leur venir en aide : ils ne devaient pas être beaucoup plus d’une cinquantaine. Et derrière eux, elle ne voyait arriver aucun autre soldat. Il lui avait cependant semblé être plus qu’insistante dans ses appels au secours répétés. Ce qui tuerait sa patrie, songea-t-elle tristement, ce serait son dédain de l’adversaire, sa trop grande fierté. Mesurant leur supériorité numérique les Gardes de Roar talonnèrent à nouveau leurs montures, accompagnant leur charge de puissants rires rauques.

Le choc fut d’une violence terrible. Les lanciers Dragons se battaient avec férocité. Autour d’eux, les cavaliers rouges tombaient, fauchés par la furie de leurs épées, leurs chevaux s’enfuyant en hennissant de terreur. Mais ils étaient désespérément inférieurs en nombre et, si pour l’instant ils parvenaient à contenir l’ennemi, Il était toutefois évident que, s’ils ne recevaient pas de l’aide au plus vite, ils seraient submergés.

Solann lança un cri de guerre et se jeta sur les derniers Naldohls, complètement hypnotisés par la bataille qui se déroulait à quelques mètres d’eux. Pris en tenaille entre elle et Orion, ils n’offrirent aucune résistance. Les survivants s’enfuirent sans demander leur reste. Elle se retourna alors pour voir où en était le combat, et son cœur se serra. Les Lanciers Dragons avaient déjà durement payé le secours qu’ils leur avaient apporté : en dépit de leur valeur, presque la moitié d’entre eux gisait sur le sol. Les autres ferraillaient sauvagement, essayant de faire barrage à l’assaut des armures rouges. Car les soldats de Lokmar, encore bien trop nombreux, avaient senti que leurs adversaires étaient à bout de force. Ils tentaient de les encercler. S’ils réussissaient, c’en était fait des renforts de l’empire.

1 octobre 2008

Chapitre 1 - Part2

Il ne fallut que peu de temps pour qu’y apparaissent les premières silhouettes, tachant de leur noirceur le bleu du ciel. Bien qu’elle eût déjà deviné que c’était par des naldohls qu’ils étaient poursuivis, Solann ne put retenir un grognement de dégoût en les voyant. Elle n’avait jamais pu s’habituer à ces êtres d’apparence simiesque qu’utilisait sans vergogne le royaume de Lokmar. Leurs bras surdéveloppés, leur corps couvert de poils, les cris qui s’échappaient de leur mâchoire proéminente lui répugnaient.
- Cela aurait pu être pire, souffla Orion. Ces maudites créatures sont peut être de vraies brutes, mais, avec une épée en main, elles ne valent pas grand chose. S’il ne s’agit que de cela, nous …
La bravade de l’esclave mourut sur ses lèvres. Derrière les naldohls une nouvelle troupe venait d’apparaître. Dominant du haut de leur monture de jais la masse grouillante, revêtus de leurs armures d’un rouge profond, les cavaliers de la garde de Roar, l’unité d’élite des armées de Lokmar, les toisaient, triomphants. Solann ne put s’empêcher de frémir : ni elle, ni Orion ne sortiraient vivants de cette vallée. Sentant le désespoir l’envahir, elle entreprit de faire le vide dans son esprit, comme le lui avait enseigné, tant d’années auparavant, Algohl, son maître d’armes et mentor.

Sur la crête, un cavalier à l’armure sanglante leva le bras. Le son d’une trompe emplit l’air, suivi par une multitude de cris d’une joie furieuse. La troupe de Naldohls déferla sur la pente, se déversant dans le vallon.
Orion avait déjà décoché plusieurs flèches, abattant coup sur coup des adversaires aussitôt remplacés. Calmement, il continua à tirer. Mais il ne réussit pas à briser la charge de l’ennemi.
Alors, se plaçant dos à dos, les deux compagnons attendirent que l’inévitable corps à corps s’engage. Cela leur parut durer une éternité, mais il ne fallut que quelques instants pour que leurs attaquants arrivent à portée de leurs lames.
Le premier devait faire près de deux fois la taille de Solann. Il n’eut même pas le temps de se mettre en garde. La guerrière, d’un geste vif et souple, le traversa de part en part. Aphlielle, dans sa main, semblait frémir de plaisir tandis que le sang de la créature coulait sur elle. Solann en abattit un autre, puis un autre encore. Tant qu’Orion faisait de même derrière elle, ils avaient une chance de tenir, et elle se jeta corps et âme dans la bataille. Nul ne pouvait l’atteindre, et nul ne l’atteignit, tandis qu’Aphlielle chantait son chant de mort.

Mais la longue plainte de la trompe résonna à nouveau et la cavalerie de Roar s’ébranla. Implacablement, le grondement produit par la chevauchée, flamme de sang dévorant l’herbe verte, couvrit la clameur du combat. Face à cette débauche de puissance, la guerrière sentit un bizarre orgueil l’envahir : certes, elle allait mourir, mais les généraux de Lokmar lui offraient une fin toute en démesure.
Une vive douleur à la cuisse la rappela à la réalité. Elle fit face et d’un coup d’épée, fendit le ventre de son adversaire. Victoire futile car ils allaient recevoir de plein fouet la charge des Gardes de Roar
A cette pensée la fureur l’envahit. Attendre une mort inéluctable n’était pas à son goût. Elle préférait prendre les devants. Délaissant la protection d’Orion, elle se jeta avec un hurlement de rage sur les Naldohls qui les encerclaient, tuant, massacrant des créatures trop abasourdies pour réagir.
Alors, dominant le tumulte, s’éleva soudain la sonnerie d’un cor puissant et clair. La guerrière ne put empêcher son cœur de bondir : elle aurait reconnue cette plainte céleste entre mille.
L’espace d’un instant, tout sembla se figer alors que tous tournaient les yeux vers l’endroit d’où provenait le son, une croupe d’herbes douces de l’autre côté du vallon. Et tandis que la charge destructrice des cavaliers rouges s’interrompait, le silence s’abattit sur le champ de bataille.