22 octobre 2008

Chapitre 2 - Part2

Le vieillard avait croisé ses mains sous sa barbe, et sa tête penchée dans une attitude pleine de révérence révélait une couronne de cheveux gris autour de son crâne lisse. Le silence s’installa. Puis le roi reprit :
- La meilleure unité de cavalerie du Farlinden est anéantie. Et il n’y avait plus, dans tout l’empire, que deux sorciers capables de pratiquer le Grand Art au plus haut niveau. J’en ai tué un. Il ne reste que l’Impératrice, et ce n’est qu’une femme. Tout cela valait bien quelques pertes !
Il sembla réfléchir un instant, tandis qu’un demi-sourire jouait sur ses lèvres.
- En somme, je voulais piéger un renard, et j’ai attrapé un lion !
L’esclave s’était peu à peu rapproché des marches du trône. Il s’agenouilla sur la dernière, pliant ses courtes jambes avec difficulté, et, les yeux baissés, interrogea humblement :
- Mais, Sire, si je puis me permettre, la fille… qu’en est-il advenu ?
D’un geste, le roi balaya la question importune.
- J’ai eu confirmation de ce que je voulais savoir. Si cette damnée Solann avait due mourir aujourd’hui, ce serait chose faite, tu peux en être certain. Mais il n’est pas si simple d’échapper à son Destin. Car, ainsi qu’il est écrit dans le grand livre d’Oht, le Destin est bel et bien en marche, et la ruine de l’Empire ne saurait plus tarder très longtemps.
Alors le Roi se leva, et faisant signe au nain de le suivre, il se dirigea vers la porte dont il claqua violemment le battant contre le mur.

La pièce dans laquelle ils entrèrent témoignait d’une sévérité militaire. Une grande table de bois en occupait le centre. Sur les murs, au-dessus de casiers garnis de cartes et de parchemins, des panoplies d’armes venues de tout le monde connu s’étalaient. La pièce s’ouvrait sur une sorte de balcon, percé au plus haut du donjon de la forteresse qui couronnait Samara, la capitale du Royaume de Lokmar. De là, on dominait à l’est la plaine jusqu’au Nuern, le grand fleuve, et au-delà jusqu’aux collines qui la cernaient. Et au nord, face au donjon, on pouvait voir la côte, et toute l’étendue de la mer. A cet instant, le soleil s’y couchait, comme un œil rougeoyant que la ligne de l’horizon tranchait, et qui dessinait un sillage sanglant sur les flots de plomb.
Plus près, en contrebas de la forteresse, s’étendait la ville ancienne, autour du port. C’est à partir de là que s’étaient construites, au cours de siècles nombreux, la richesse et la force du royaume. Aujourd’hui la ville s’étendait presque jusqu’aux berges du Nuern.
Shark’Rohr s’était avancé sur le balcon et laissait errer son regard sur la capitale de son royaume, et sur la plaine qui l’entourait. Peu à peu, avec l’avancée du crépuscule, des lumières s’allumaient, clignotantes. Dans les bassins du port, ombres sur ombre, on apercevait les formes élancées des navires, dont les gréements oscillaient au gré de la houle. Mais sur la plaine ! Des centaines de feux y brillaient, éclairant de leur lueur des centaines de tentes alignées. Son armée était prête.
La partie d’échecs avec l’Impératrice du Farlinden pouvait commencer.
Le regard du roi se porta alors sur la cour intérieure du château, au pied du donjon, juste en dessous du balcon où il se trouvait. Les hommes y étaient si serrés qu’on n’aurait pu discerner la moindre parcelle du sol sec et poussiéreux. Tous portaient l’armure rouge sombre, celle de l’armée de Lokmar, et leur main gauche tenait une torche dont la lumière faisait reculer la nuit.
Les soldats avaient vu leur seigneur apparaître. Tous se turent. Ils portèrent leur poing droit à leur cœur, puis, mettant un genou en terre, la tête baissée, ils murmurèrent d’une même voix sourde, qui résonna jusqu’aux confins de la nuit : « Ta Parole est notre Loi, Prince »
Et ce fut le silence, troublé seulement par le crépitement des torches.
Alors le Roi parla :
- Fidèles guerriers, partez, allez rejoindre vos compagnons, et dites leur ceci : aujourd’hui l’armée de Lokmar se lève, et demain, elle marchera sur tous les territoires connus, et ses ennemis fuiront devant elle, car le Destin promis par le Grand Livre d’Oht au Royaume de Lokmar est à ses portes, et la clef de ce Destin, c’est Nous »

A ces mots, tous se redressèrent, et agitant leurs flambeaux, ils acclamèrent leur roi. Dans tous leurs cris, ceux qui revenaient le plus souvent étaient « Vive Lokmar » et « A mort le Farlinden »

Le Roi sourit. Bientôt, depuis une autre Salle du Trône, il gouvernerait le monde.