26 octobre 2008

Chapitre 3 - Part1

Dans les jours qui suivirent, Solann et ses compagnons survivants chevauchèrent en silence. Il semblait que même la nature avait revêtu ses vêtements de deuil. Le soleil était occulté par d’épais nuages d’où tombait sans discontinuer une pluie fine, glaciale, qui ternissait les ors et les rouges de l’automne, comme un dernier hommage à Ariene.
Menant le petit groupe avec autorité et précision, la guerrière s’acquittait au mieux de la dernière mission que lui avait confiée le général des Tordrïn, essayant d’ignorer la douleur qui lui déchirait le cœur. Cependant, malgré tous ses efforts, les quelques heures qui avaient suivi la bataille occupaient constamment son esprit.
Elle avait l’impression d’encore sentir au coin de ses lèvres le goût salé de ses larmes. La pluie avait commencé à ce moment-là, et avait fini par la tremper totalement sans qu’elle en ait cure.
Des quatre lanciers survivants, deux n’avaient pas passés la nuit, trop grièvement blessés. Ils avaient rejoints le reste de leurs compagnons sous un grand tumulus élevé à la hâte.
Une bien piètre sépulture pour d’aussi nobles combattants, avait songé Solann une fois le travail terminé, mais elle avait préféré garder cette réflexion pour elle. Après tout, leurs dépouilles mortelles n’étaient plus exposées aux yeux de tous, à la différence des cadavres des soldats de Lokmar, entassées à l’écart. Orion avait proposé de les brûler, mais elle s’y était fermement opposer, préférant les exposer là "à titre d’exemple".
Mais, plus que tout, une pensée martelait continûment l’esprit de la guerrière : à cause du Royaume de Lokmar, le général Ariene, de la lignée d’Ohes, le plus noble des seigneurs de l’empire, était mort ; son corps disloqué reposait maintenant sous un tertre de pierre qui séparait en deux les flots verdoyants d’une rivière d’herbe.
Elle sentie à nouveaux des larmes lui monter aux yeux. Heureusement la pluie, tombant sans discontinuer depuis la bataille, fouettait son visage tandis qu’elle chevauchait, et lui permettait de masquer ces maudits pleurs, preuves de sa faiblesse.

***

Au soir du troisième jour, la guerrière reprit conscience de ce qui l’entourait.
Depuis un moment déjà la route s’était mise à grimper entre de hautes futaies que l’automne avait commencé à dépouiller. Autour d’eux, la bruine semblait tout imprégner. L’eau ruisselait sur les feuilles et sur les branches, courait au long du chemin en chuchotant. Elle s’insinuait dans leurs vêtements, glissant entre leurs omoplates, mouillant leur dos jusqu’à la selle. Même la cape de Solann, pourtant tissée par les prêtresses de An’Cardon, déesse des voyageurs, semblait impuissante à la protéger. Les chevaux baissaient l’encolure, arrachant avec peine leurs sabots à la boue glissante, et leurs cavaliers n’avaient pas l’air en meilleur état. Les traits tirés, ils courbaient les épaules avec une lassitude épuisée. Solann tira sur les rênes et s’arrêta.
- Il est temps de faire une pause, lança-t-elle à ses compagnons. Si nous continuons ne serait-ce qu’une heure encore, je vais me réduire à un fantôme, avec toute cette eau. Et le soir descend. Trouvons un abri dans ces bois !
Ils s’écartèrent de la route, et menèrent leurs montures par la bride entre les hauts troncs, sur le tapis rouge et or des feuilles tombées. Ils firent halte sous un orme dont le feuillage, quoique jaunissant, était encore épais, et au pied duquel la mousse ne semblait pas complètement détrempée. Ayant pansé leurs chevaux, ils s’occupèrent de trouver l’endroit le moins humide, sous les puissantes branches de l’arbre, pour installer leur campement.