9 octobre 2008

Chapitre 1 - Part4

A quelques pas de Solann, un grand étalon blanc paissait paisiblement, aussi indifférent au cadavre de son ancien maître, encore avachi sur sa selle, qu’au tumulte alentour. Elle se rua vers lui, ne prenant que le temps de lancer à Orion un « Suis-moi ! » impératif. Mais celui-ci l’avait devancée, et se dirigeait déjà vers un autre cheval. Elle songea un instant à lui rappeler que ce n’était pas à lui, l’esclave, à prendre de telles décisions, mais se ravisa immédiatement. Elle avait pour l’heure des problèmes bien plus important à gérer, et elle ne pouvait non plus nier que c’était en prenant ce genre d’initiatives qu’Orion les avait à plusieurs reprises tiré de situations pour le moins périlleuses.
« Tout de même, nota-t-elle en enfourchant sa monture, si nous nous en sortons, il faudra que nous ayons une petite discussion sur les droits et devoirs d’un esclave de l’empire »
A cet instant, il ne restait que peu de lanciers, une dizaine tout au plus, à tenir encore sur leur monture. Totalement encerclés. Tel un héron blanc pris au piège d’une mare de sang, la troupe des Lanciers Dragons était en train de se faire avaler par la Garde de Roar. La bataille était jouée.
Pourtant, toujours épaulée par Orion, Solann lança en avant l’étalon blanc. Il fallait tenter une percée pour permettre aux survivants de s’extraire des mâchoires qui se refermaient sur eux. La fuite, constata-t-elle avec tristesse, était une fois de plus la seule issue possible.
Laissant à son esclave quelques mètres d’avance, elle attendit qu’il arrive au contact de leurs ennemis, puis elle saisit son cor de guerre qu’elle fit mugir de toute la force de ses poumons. A ce son, les cavaliers de Lokmar, arrachés à la fureur de la victoire imminente, hésitèrent quelques secondes. Certains tentèrent même de faire faire volte-face à leurs chevaux, convaincus qu’une nouvelle troupe les prenait à revers.
Ariene profita de ce bref instant de flottement pour arracher ses compagnons à l’étreinte qui les étouffait : au prix d’énormes pertes, ils se taillèrent un chemin sanglant à travers leurs ennemis jusqu’à Solann, avec laquelle ils rejoignirent le sommet de la colline. De la cinquantaine de Lanciers Dragons initiaux, il n’en restait que quatre, tous en piteux état. Armures cabossées, chair à vif, seul le teint cireux de leurs visages semblait maintenant rappeler la blancheur immaculée de leur uniforme. Et leur général ne présentait pas beaucoup mieux : ses atours, autrefois ivoire, étaient à présent de la teinte rougeâtre, écoeurante, du sang, tout comme son visage, sur lequel on devinait les fins sillons pâles qu’avaient tracés des larmes. Solann aurait pu s’amuser de découvrir que la légende des pleurs du Seigneur d’Ohes semblait fondée, mais elle était trop épuisée pour s’étonner de quoi que ce soit.
Après s’être brièvement assuré de l’état de santé de ses hommes, Ariene se tourna vers celle qu’il était venu sauver,
- Ma Dame, commença-t-il avec calme, je suis honoré de combattre à vos côtés en ce jour funeste.
Si elle tenta de ne faire rien paraître, Solann fut néanmoins étonnée par le ton d’Ariene. Un ton tranquille, voire serein, qui était parfait autour d’un bon repas ou au cours d’un banquet, mais qui paraissait totalement incongru dans la situation présente. Aussi lui fallut-il quelques secondes pour répondre. Elle se força à garder le même registre, respectant à la lettre les règles de la bienséance en usage à cette cour de l’empire qu’elle abhorrait tant :
- Tout l’honneur est pour moi, ainsi que pour ma Maison, seigneur Ariene d’Ohes.
- Sachez, ma Dame, poursuivit-il, toujours aussi sereinement, que tout ce que l’on raconte sur votre compétence dans le maniement de l’épée est bien en dessous de la réalité. Il ne me semble pas avoir jamais vu une telle maîtrise du grand Art, même parmi les plus fins bretteurs de notre empire.
Il marqua une pause, puis dit d’un ton bien différent, celui du commandant qui parle à son second :
- Vous avez certainement déjà compris que cette bataille ne pouvait être remportée.